Le 5 octobre dernier, avec Félix (16 ans), nous sommes allés grimper deux voies « modernes » à la Cougourde. En face Sud de la Cime IV, nous avons d’abord parcouru « Tournesol », 7a max (6b obligatoire) – ED inf – 130m. Une voie que l’on doit au guide Yann Bonneville, actuel valeureux gardien du refuge des Merveilles. De l’autre côté, en face Nord de la cime III, nous avons ensuite grimpé « Le sens de la vie », 6c max (6b obligatoire) – TD+ – 170m. N’en déplaise à Nietsche, depuis 1990 nous devons ce sens-là à la cordée P.Pippolini / P.Montiglio.
Félix dans le jaune de la bien nommée « Tournesol »:
Le départ est matinal. Même en face Sud, la froidure de ce 5 octobre nous mord les doigts dans le 6c/+ de la première longueur. La doudoune reste de mise:
Félix dans le crux rendu encore plus difficile par deux clippages malcommodes:
La seconde longueur est plus homogène, plus roulante. Par contre la paroi se raidit franchement:
« Tournesol » offre une escalade prisue et soutenue. Beaucoup de mouvements rappellent ce que l’on peut trouver en falaise, voire même en salle. Une originalité certaine pour une voie en montagne qui plus est, à la Cougourde.
A partir de L3, le soleil nous accompagne. Avant de faire monter le thermomètre, il commence par réchauffer l’ambiance. La doudoune se supporte encore très bien :
Le jaune de « Tournesol » est dû à la présence d’un lichen particulier répondant au doux non de rhizocarpon geographicum. Ce lichen, jamais gênant pour l’escalade, aime particulièrement les parois siliceuses et souvent sèches. Vous l’aurez compris, le gneiss ensoleillé et déversant de la face Sud de la cime IV coche toutes ces cases.
Félix s’envole dans l’extraordinaire troisième longueur:
« Tournesol » est assez courte. En quatre longueurs nous rejoignons quasiment l’arête Sud-Ouest, grande classique du Mercantour. Avant de redescendre en trois grands rappels et de rejoindre le pied de notre seconde voie, petit coup d’œil en direction de l’Ouest histoire de nous remémorer nos pérégrinations hivernales sur le Pélago (2768m) à gauche, les cayres nègres du Pélago (2745m) au centre et la cime de Baissette (2822m) à droite:
Quelques pitons anciens suggèrent que des bouts de variantes de la directissime sud, jamais très loin à droite puis à gauche, ont été repris par « Tournesol ». Nous avons néanmoins très apprécié cette voie ainsi tracée. Elle aurait d’ailleurs pu s’appeler, plus prosaïquement, l’archi-directissime.
Ayant peur d’attraper un coup de chaud ironique en face Sud, nous continuons la journée en face Nord de la cime III pour visiter « Le Sens de la Vie ». Cette voie frôle à gauche la fameuse « Espérance » (sauf erreur une des deux seules voies Bérhault à la Cougourde, l’enfant prodige du pays). Elles se partagent même quelques relais et sections de longueurs en limite droite de ce bouclier de dalles rougeâtres (cf. tracé approximatif du « Sens de la Vie »):
La première longueur est assez courte. Elle n’en demeure pas moins déroutante car il est difficile d’anticiper la pose de protections. Les fissures capricieuses restent invisibles jusqu’au dernier moment:
La seconde longueur, plus classique, demande aussi une petite dose d’application, ce qui plus largement semble être une constante dans ce secteur là de la Cougourde:
Félix en termine avec les deux premières longueurs communes à « Espérance ». Les cotations, comme on pouvait s’y attendre, sont serrées (5b / 5sup-6a). Il faudra aussi s’équiper d’un bon jeu de coinceurs.
La suite n’a pas l’air de faire beaucoup rire Félix:
On comprend vite pourquoi en voyant ces dalles franchement lisses… Cette troisième longueur reste un passage marquant dans l’histoire des ouvertures à la Cougourde. Ses deux premiers tiers étant ceux d’ « Espérance », ils n’ont probablement jamais été répétés en l’état, c’est à dire sans chevilles à expansion (spit®). L’engagement nécessaire, même en 1979, fût hors-normes.
Avant de se frotter à ce néant des dalles, il faut remonter un petit dièdre gris sur 5 / 6 m. C’est celui-ci qui a probablement abrité le dernier point de protection amovible de la cordée de 79 avant R3, une « petite » quinzaine de mètres plus haut. « Run-out » en 6b dalle glaçant ! On vous laisse imaginer l’émoi que ce dernier pourrait causer chez le commun des grimpeurs des années 2020, de surcroît en « Super Gratton EB » (mais sans gratton justement…) ou similaire.
Félix, excellent grimpeur, se débrouille parfaitement dans ce passage historique du Mercantour maintenant protégé par des points fixes. Ils ne sont certes pas toujours très rapprochés, mais ils n’en demeurent pas moins solides:
La même vue de dessus:
Sortis enchantés des terribles dalles, on embraye sur la suite majoritairement en fissures même si celles-ci ne sautent pas aux yeux sur les photos:
Un précédent parcours qui commence à dater nous avait laissé une impression lichéneuse presque gênante. Aujourd’hui, ce n’est clairement plus le cas. Nous prenons un plaisir plein et entier à grimper cette section finale toujours aussi soutenue dans le 6a exigeant. Les photos en témoignent:
Piètres alpinistes que nous sommes, nous ne sommes pas sortis à la cime III. Le sommet est pourtant accessible relativement « aisément » en remontant la seconde partie de l’arête Nord. Nous avons préféré opter pour une descente rapide en quatre rappels, accompagnés par un soleil déclinant prêt à se coucher derrière les cayres nègres du Pélago:
Magnifique journée d’octobre partagée avec Félix qui, on l’espère, en appellera beaucoup d’autres.

























