Weisshorn, Schaligrat (arête SW)

Du 9 au 11 septembre 2022, avec mon client et ami Matthieu Carena, nous sommes allé nous balader du côté du Weisshorn 4506 m, un des 4 géants de la couronne impériale de Zinal (avec la Dent Blanche 4358 m, l’Ober Gabelhorn 4064 m et le Zinalrothorn 4222 m). J’omets délibérément le Cervin 4478 m, les habitants de Zinal ayant justement appelé leur ceinture de 4000 comme ceci pour redorer leur blason.

Commencer cet article en citant le topoguide CAS des Alpes Valaisannes (tome 3) me paraît bien opportun tant il permet de faire l’éloge de ce magnifique sommet, un peu dans l’ombre de son célèbre voisin il faut bien le dire :

« Aux yeux de beaucoup d’alpinistes, le Weisshorn est la plus belle montagne des Alpes. Certes le Cervin est plus élancé, plus étonnant, plus monstrueux, mais la pyramide impeccable du Weisshorn s’élève avec une telle grâce, une telle majesté, une grandeur si sereine, qu’elle se distingue entre toutes. […]. Trois arêtes tendent doucement, régulièrement vers son sommet ; elles y convergent en un cône si parfait qu’on peut le couvrir de la main ; entre elles ces arêtes délimitent trois faces qu’il convient de contempler, chacune d’un observatoire différent : du Bishorn, on admirera la lumineuse face NE, toute de neige et de glace et qui a valu à la montagne son nom ; du Mettelhorn, son versant SE, tout strié de couloirs ; de l’Ar Pitetta, ou de quelques belvédère plus éloigné, on pourra scruter du regard sa formidable paroi rocheuse occidentale, qui constitue une sorte de revers à sa cuirasse glacée. D’aussi sombres précipices se voient ailleurs dans les Alpes, mais le vrai, le blanc Weisshorn reste une de leurs inégalables merveilles. Plus on s’en éloigne, plus il se détache lumineux sur l’horizon. Ici aussi les arêtes constituent les voies préférées, les plus intéressantes et les plus sûres. »

Après deux parcours des arêtes N et E plus tôt dans la saison, notre dévolu s’est jeté sur la géniale arête SW (Schaligrat) qui dénivèle sur plus de 750 m. Sa raideur, en particulier dans le premier et le dernier tiers et son cheminement astucieux font de cette ligne une course exceptionnelle.

Pour terminer le tour d’horizon des arêtes de cette montagne, on peut mentionner l’arête Young exposée W qui sort au Grand Gendarme visible à gauche sur la photo ci-dessus et dont voici un topo de Sylvain Mauroux (licence CC by sa).

L’enchaînement des 4 arêtes constitue la croix du Weisshorn, classiquement dans l’ordre suivant : Montée au Schalijochbiwak, Schaligrat et descente par l’arête N puis arête Young (arête W du Grand Gendarme) et descente par l’arête E.

Fait remarquable : le 19 août 1981, les frères Armand et Aurel Salamin, aspirants-guides de Grimentz ont réalisés cet enchaînement en 7h30 au départ du Schalijoch !

Mais revenons à nos moutons, je retrouve donc Matt à Randa le 09/09 au matin et nous prenons le train pour Zermatt. Objectif du jour : Montée tranquille à la Rothornhütte. Pour atteindre le pied de notre objectif, nous aurons le lendemain déjà une belle journée d’alpinisme avec la traversée de l’Aschhorn en apéro et celle du Schalihorn en plat de résistance.

La montée au Schalijochbiwak peut se faire plus directement par le Schaligletscher mais étant donné les conditions glaciaires de cette fin d’été, on préfère bétonner même si des doutes subsistent quant à la praticabilité de l’Hohlichtgletsher. C’est surement cet isolement qui rend cette course si sauvage ces jours-ci.

Pour l’heure, nous remontons le paisible et verdoyant vallon du Trift avec une vue imprenable sur le massif du Mont Rose.

Ca fleur bon la raclette à l’Hôtel du Trift à cette heure et c’est avec une certaine amertume que nous poursuivons notre montée. Pour nous au menu : un monde plus minéral entre moraines et dalles moutonnées rongées par la glace mais bientôt le Cervin fait son entrée sur scène et nous sommes rassasiés !

Après 3h de marche, nous voici au refuge, il ne fait pas chaud dans l’ombre de la Wellenkuppe 3900 m et on a même droit à 3 petits flocons. Une cordée d’allemands arrivée tard de la traversée de l’Ober Gabelhorn nous raconte avec émotion leur aventure, ils sont rincés. On se dit que c’est peut être ça qui nous attend !

Le lendemain, levé 4h avec les cordées de la voie normale du Zinalrothorn. Nous les escortons un instant, puis nos chemins se séparent sur le Rothorngletscher lorsque nous partons chercher l’arête E de l’Ober Aschhorn pour basculer sur l’Hohlichtgletscher. Ca y est, on est seul avec nos incertitudes ; l’itinéraire, la météo, les conditions, etc. En face de nous, ils sont là, le Schalihorn d’abord pour aujourd’hui, le Weisshorn encore dans les nuages, pour demain et notre bivouac quelque part entre les deux.

Ce début de course n’est pas très dur techniquement mais il faut avoir du nez pour se frayer un chemin entre les crevasses.

Nous profitons d’un panorama dingue sur les 4000 de Saas Fee, avec de droite à gauche : Rimpfischhorn 4199 m, Allalinhorn 4027 m, Alphubel 4206 m, Dom des Mischabel 4545 m, Täschhorn 4491 m, Lenzspitze 4294 m et Nadelhorn 4327 m pour les plus connus. C’est le versant W / SW et on voit que les glaciers souffrent …

L’arrivée à l’Hohlichtpass est grandiose.

L’arête N du Zinalrothorn est impressionnante, les pointes de Moming ne font pas rire. Derrière c’est la Dent Blanche qui sort de son cocon molletonné. On devine ici d’autres alternatives pour rejoindre l’Hohlichtpass que j’avais un temps envisagées en lisant les mauvais retours conditions de l’Hohlichtgletscher : épaule du Rothorn / glacier de Moming ou cheminement sur le fil de l’arête en traversant du Zinalrothorn. Je crois qu’on a pris la bonne décision !

Ca se raidit un peu au dessus de l’Hohlichtpass et les broches sont bienvenues car la pente est en glace.

Après un petit bout de rocher, nous voilà enfin sur l’arête sommitale du Schalihorn qui devient mixte.

L’arête devient bien aérienne. Elle a la réputation d’être en mauvais rocher et nous l’abordons avec appréhension.

Au final, comment souvent (mais pas toujours), les passages difficiles sont en bon rocher. Ce n’est qu’à la fin de l’arête pour rejoindre le Schalijoch que le terrain est vraiment miné mais il est aussi plus facile techniquement et il suffit de prendre son temps.

Juste avant la dernière calade pour arriver au Schalijoch, on a une vision assez sympathique du programme du lendemain. Les échelles paraissent démesurées vu d’ici, le bivouac au pied de l’arête parait minuscule. Le Weisshorn avec son nuage orographique dégage une énergie puissante.

Après 9h de varappe, nous arrivons au Schalijochbiwak. C’est grosso merdo l’horaire du topo. Nous l’avons tenu sans trop courir. C’est bien, il nous reste des cartouches pour demain. Pour l’heure, on a bien mérité un bon ravitaillement et une bonne sieste !

L’ambiance du lieu est dingue, perdus au milieu de nulle part, avec le vent et les cumulus qui forment, on se sent bien incapables.

L’heure de la tambouille ne tarde pas à venir … Le bivouac est hyper bien équipé : réchauds, gaz, allumettes, bougies, etc. Trop forts ces suisses !

Puis on s’emmitoufle dans tout ce qui passe sous nos mains pour une bonne nuit de sommeil !!!

Le lendemain, lorsque le soleil pointe le bout de son nez …

Nous n’en sommes pas à notre première onglée avec Matt… Au loin, à droite sur la photo, le Grand Combin 4314 m et le Mont Blanc 4807 m sont maintenant de la partie. Il ne reste que nous et les montagnes ! Avec pour ambition de retrouver Randa dans la soirée, nous avons préféré partir tôt ce matin.

Lorsque le soleil frappe l’arête, ça fait du bien au moral. Derrière nous la pointe du Schalihorn, traversée la veille, a fière allure. Aujourd’hui le caillou est vraiment bon, heureusement car les gendarmes raides se succèdent sans interruptions.

3ème journée dans la montagne, et le voyage prend vraiment de l’ampleur. L’engagement est total puisque sortir par le haut est à présent plus aisé que faire demi-tour. Heureusement, la météo est absolument divine. L’arête est sèche en condition presque parfaite, de temps en temps un petit bout de neige nous oblige à redoubler de vigilance mais sans nécessiter la pose des crampons.

Dans le dernier tiers de l’arête, le cheminement n’est pas aisé, on quitte notre arête pour grimper en « face » avant de retrouver l’arête finale. C’est ce que le topo CAS appelle « la solution de continuité ». Les gendarmes sont parfois trop abruptes et l’on doit grimper sur leurs flancs non sans une certaine émotion.

Il est à peine 11h30 lorsque j’identifie le dièdre final mentionné dans le topo.

Et nous atteignons le sommet quelques minutes plus tard. Matt a sur-gazé ! Je crois qu’il est, comme moi, encore estomaqué par l’esthétisme de la ligne que nous venons de parcourir.

Troisième Weisshorn de la saison pour ma part avec une forte envie de revenir faire l’arête Young pourquoi pas en réalisant la croix du Weisshorn !

Alors qu’une cordée arrive par l’arête N, nous profitons un instant de la vue saisissante et entamons la longue descente par l’arête E que je connais bien maintenant.

Il nous faudra 4h45 pour arriver à la Weisshornhutte …

Et 2 de plus après une bonne bière au refuge pour retrouver les voitures à Randa, encore surveillés par la Dufourspitze et le Lyskamm.

Une belle aventure en montagne avec le Matt, vivement la prochaine !

3 réflexions au sujet de “Weisshorn, Schaligrat (arête SW)”

  1. Puissant le reportage de votre périple, intelligemment enrichi de cartes clairvoyantes, topos et citations !
    Bravo à vous de l’avoir imaginé et réalisé !
    Marc

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  2. Super article, sur une ascension très esthétique qui restera un grand moment passé en montagne.

    La nuit au Schalijochbiwak restera mythique!

    Mention spéciale pour la qualité de la nav de Mathieu notamment dans l’arête J3 et dans la descente très « paumatoire ».

    Ça fait plaisir de se replonger dans ces souvenirs, et vivement la prochaine ascension en ta compagnie!

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